Extrait
VIA OMPOSTELA, Des monts du Velay à la Costa da Morte

" Le dîner consommé, nous regagnons l’hébergement. Je me glisse au fond du lit et songe à ce que je vis intensément jusqu’à présent. Alors me viennent à l’esprit, les paroles prononcées par Catherine, à Rieutort d’Aubrac. Elles concernaient les stades successifs que traverse le pèlerin au fur et à mesure qu’il progresse. J’en ai distingué quatre depuis le dé-part, mais il peut s’en présenter d’autres, car le voyage n’est pas achevé. La période la plus nette est, pour moi, la première. Celle où, seul face à l’aventure, une sensation nouvelle de liberté m’envahit au point de provoquer une excitation tangible. Elle semble s’être prolongée jusqu’à ce que la routine quotidienne s’établisse, faisant décliner progressivement l’intensité de l’euphorie. Cependant, sans l’annihiler complètement, à tel point qu’elle reparaît à chaque situation nouvelle, bien qu’elle n’atteigne plus le même degré de paroxysme.
Les rituels établis et intégrés, la seconde phase se manifeste par une période de réflexion, axée sur un sujet essentiel, moi. Une multitude de questions surgissent, de simples à complexes, se rapportant aux actes, aux paroles, aux pensées, au passé, au présent, au futur. Les réponses ne sont pas toujours claires et suscitent parfois d’autres questions qui apportent d’autres réponses. En définitive, la recherche d’explications est fructueuse parce que favorisée par le temps illimité que l’on peut y con-sacrer. Dans sa globalité, cette phase s’est prolongée environ une quinzaine de jours, par intermèdes plus ou moins prolongés. Elle revient de façon régulière dès que je ressens le besoin de marcher sans parler, de m’isoler mentalement.
Après « moi », il y a « elle ». La troisième période a été la plus longue, jusqu’à présent. C’est celle où les questions se portent sur « nous ». Cette séparation volontaire, imposée par ma démarche, a déclenché en mon for intérieur, une réflexion inattendue et déstabilisante. Elle a mis en doute certaines de mes certitudes. Parfois exaltante, parfois douloureuse, elle m’a été salutaire à terme. A Saint-Jean-Pied-de-Port, je l’ai relatée dans les moindres détails à Sylvie. Elle a parfaitement compris mon état d’esprit. Attribué à une élégie du poète latin Properce , le proverbe « Loin des yeux, loin du cœur » est inapproprié, pour moi. Je peux amoureusement l’adapter en pensant à « elle » et l’écrire : « Loin des yeux, près du cœur ».
La suivante, et actuelle phase, est celle du rapport à l’Autre, plus exactement pour ma part, du contact avec l’Inconnu. Mon naturel timide, voire méfiant, et un faciès de sévérité apparente contribuent souvent à me caractériser comme étant d’un abord malaisé, sinon pis. En fait, c’est davantage pour moi une attitude, un masque protecteur qu’une réelle froideur, mais, qu’en maintes circonstances, j’ai délibérément affiché. Or depuis le début de l’aventure, je me surprends à aller vers les autres. Sans fard ni artifices, sans attendre qu’ils viennent, je les aborde décomplexé, je leur souris, j’éprouve du plaisir à leur contact, je dialogue avec eux. Bien entendu, l’« effet miroir » opère en retour et j’en suis comblé. En tout, il me semble faire les premiers pas ! "