Extrait
1er chapitre

Atraxad Lormé n’en finissait plus de cogiter.
Perché sur les remparts de l'avant-poste colonial d'Afrane, il songeait à faire une sortie dans le désert de roches de Kragg, malgré l'extrême danger d'une telle initiative ces derniers temps. Les imprudents géographes stellaires, Marna Vyr et Trom Gèx, semblaient avoir subi à leur tour cette mystérieuse malédiction qu'ils avaient toujours considérée comme farfelue depuis leur arrivée à la base coloniale.
On ne trouvait ici pas le moindre danger n'avait cessé de lui répéter la belle Marna Vyr. Cette géographe stellaire humaine d'à peine vingt-cinq ans possédait une magnifique peau d'ébène et des yeux noirs pénétrants. Elle était toujours vêtue de sa combinaison d'exploration, très pratique pour affronter divers milieux hostiles planétaires et qui soulignait les courbes parfaites de son corps de sportive. Marna avait rapidement ensorcelé le modeste attaché administratif colonial Atraxad Lormé… En tant que géographes stellaires de l'Union, il était normal qu'elle et son collègue, l'énervant Trom Gèx, aillent explorer les nouvelles planètes récemment colonisées par l'U.G comme Afrane. C'était la procédure classique.
Cependant, rien de classique ne se déroulait sur cette maudite planète. Afrane était l’un des mondes habitables du système d’Atras, lui-même en périphérie de la galaxie. La Diète Interstellaire – actuellement contrôlée par le parti du sénateur Sid Hogn, même si son ennemi juré Adar Jool n’avait pas dit son dernier mot – avait décidé d'y installer tout de même une colonie quand avait été découvert de l'Aménite Verte, un des minerais les plus précieux du cosmos, en quantité respectable dans son sous-sol.
Aucune liaison long courrier stellaire ne s'établissait avec elle, mis à part les trop rares visites du fameux vaisseau-relais colonial. Il aurait fallu des années, des siècles, voire plus, pour rejoindre cette planète égarée. Ainsi seuls les vaisseaux qui voyageaient en hyperespace pouvaient relier Afrane au reste de l'univers. Autant dire que les uniques astronefs que les colons d'Afrane voyaient étaient ceux de l'armée – en l’occurrence ici pro-Hogn. Bref, pas de quoi trouver avec qui échanger longuement … Atraxad Lormé n'en pouvait plus de se morfondre ainsi. Mais, depuis l'arrivée de l'équipe d'exploration stellaire composée des géographes Trom Gèx, et surtout Marna Vyr, les choses s’amélioraient quelque peu pour Atraxad. Entre-temps, des choses étranges s’étaient produites aux alentours de la base coloniale.
Tout avait commencé par la disparition anodine des plans de la base. Seul Atraxad s'en était au départ préoccupé. Il avait voulu diligenter une enquête. Mais le reste de la base lui avait ri au nez. Cet administratif de seconde zone, parachuté là parce que ses résultats académiques n'avaient pas été suffisamment bons, faisait du zèle pour rompre son inactivité chronique. Il y avait plus important à faire. Consolider les défenses de la base, avant de se lancer dans le développement de l'agriculture néo-intensive sous les fameuses serres Jabbié.
Ce modèle d'abondance alimentaire subjuguerait à coup sûr les autochtones d'Afrane, qui adhéreraient peu à peu à la civilisation pangéenne, même si des insoumis perdureraient à œuvrer contre les colons du progrès interstellaire. Ainsi, un terreau favorable se formerait au moment de l'arrivée du consortium industriel chargé d'extraire l'Aménite au nom de la Diète interstellaire de l'U.G. Il y avait donc vraiment autre chose à faire que de s'occuper de paperasse égarée ! Atraxad avait dû s'incliner, bouillonnant de frustration, car il avait pressenti quelque chose de viscéralement plus grave.
Puis les géographes interstellaires, Trom Gèx et Marna Vyr, avaient fait leur entrée à la base coloniale, dernière étape avant l'installation de la première carrière minière dans le désert de Kragg. Entre-temps, les quelques sorties de colons hors de la base pour des repérages de routine s'étaient soldés, dans un cas sur deux, par une disparition pure et simple de la personne. Elle n'avait laissé aucun indice, pas la moindre trace. Les Afraniens, que l’on connaissait à peine, commençaient à être accusés de ces rapts. Quelque chose se tramait sur cette planète, quoiqu'en pensaient les géographes. Ces derniers étaient partis en exploration pour infirmer cette thèse. Pour eux, les disparus n’étaient que des égarés recueillis par des nomades du désert. C'était tout. Ils avaient déjà vus pareil cas sur d’autres mondes colonisés de fraîche date. Ils sauraient comment les retrouver en diffusant leur signalement auprès des caciques des peuplades extra-pangéennes … Depuis, Marna et Trom n'avaient donné plus aucun signe de vie.
Au sein de la base, l'ambiance se délitait chaque jour un peu plus. Atraxad restait ostracisé comme jamais, malgré la justesse probable de ses intuitions de départ. Il n'était qu'un subalterne après tout. Cependant, cette situation de reclus en expectative lui pesait. Une certaine décadence régnait au sein de cette base de pionniers de la colonisation interstellaire de l’U.G. Les Pangéens restaient obstinément entre eux. Quand ils apercevaient au loin un groupe d'autochtones d'Afrane, la plupart du temps une caravane marchande, ils leur tiraient dessus sans autre forme de procès, faisant décamper ces bédouins de Kragg sur le champ. À chaque fois, Atraxad se trouvait plongé dans un profond désarroi suite à pareille attitude.
Le jeune administratif s'apprêtait enfin à agir, cette fois pour de bon se jura-t-il. Malgré la folie de son plan, il n'avait que trop tardé en réalité. Car Marna était en grave danger, il en avait la certitude. Mû par une impulsion chevaleresque, il se préparait à enjamber la muraille qui séparait la base coloniale du reste d'Afrane, quand un vrombissement au-dessus de lui, lui agressa les tympans après qu’eut retenti un choc sonore caractéristique : un astronef militaire ayant traversé l'hyperespace venait se poser contre toute attente sur la base coloniale.
Saisi comme tous ses collègues, Atraxad se rua sur le tarmac de l'unique astroport d'Afrane.