Extrait
La Louve aux Crocs d'Ivoire - Chapitre 0

Les royaumes étaient jeunes encore aux temps des faits contés en ce grimoire. Les montagnes s’élevaient en de grands cataclysmes, poussées depuis le dedans de la terre par les forces des titans bâtisseurs. L’astre d’or et les trois lunes concouraient à la création des forêts antiques où jouaient les premières âmes. De leurs rages les titans creusaient la terre qui elle seule décidait du lit de ses rivières, des abîmes de ses lacs que les pleurs des landes d’azur emplissaient. Ilhyya de son être créait les vastes terres, de sa force et de son amour engendraient les royaumes où, bien des âges plus tard, devaient vivre et s’étendre les peuples nés des dieux.
Les anges immatures étaient encore ces titans bien plus hauts que les plus hauts sommets lorsque le sombre royaume à la Mort fut confié. La Belle Dame, aux baisers glacés, y régnait avec sagesse et justice, honorant chaque jour les vertus cardinales des huit piliers. Parmi les tempêtes et les rages naturelles elle volait aux côtés des titans, admirait la naissance des Monts de la Belnau, des Tertres Couronnés, marchait au milieu des seigneurs verts à travers les forêts et les bois. Du ventre de la terre elle tirait les pierres gigantesques, s’enhardissait à bâtir avec eux son palais, siège de la renaissance des âmes. Durant des milliers de lunes elle œuvra, harassée mais heureuse, nuits et jours, sans répit ni repos.
Elle offrait, en son royaume de Crone, un asile sûr aux bêtes haïes, aux proies tourmentées. Elle fit ses messagers des ailes graciles brûlées aux sangs de la terre, couvait des flammes sombres les œufs des premiers dragons du Chaos, fit des pierres des âmes des cristaux remplaçant leurs cornes perdues dans la violence des batailles des cataclysmes originels. À mesure que la quittaient les titans les limites de Crone s’effaçaient en brumes indécises, limbes emplies de mystères où couraient d’indicibles créatures, où vivaient d’antiques forces.
Hautes et fortes demeuraient les portes dressées par Osan, dieu des passages. Sur le divin royaume d’Hélios elles s’ouvraient, pleines de brumes mystiques que dispersaient les souffles de vie. Les vents des quatre coins de l’horizon dessinaient devant ses yeux les silhouettes des premiers fils de la Grande Déesse, les jeux et les pérégrinations des divinités juvéniles.
Ils allaient sans retenue bien au-delà des terres connues, s’aimant sans mesure, s’unissant et se quittant, puisant en des feux ancestraux les étincelles des âmes qu’ils prenaient pour de fugaces flammes. Entourés des bêtes à la généreuse descendance ils fécondaient la Terre de leurs magies, de leurs arts immatures, donnant aux créatures toute la liberté de croître et de se multiplier. Et ses yeux sur elles se posaient, aimant la douceur des gestes, l’instinct qui poussait une mère à défier les dieux pour protéger la vie de son petit. Alors Mortis sentit dans le creux de son ventre naître un vide terrible.