Autre
Des maux en actes

Le bord de scène est sans doute ce mince espace où les acteurs rejoignent le public. Assis, l’on regarde mieux, on observe, on n’est plus acteur. On devient un autre, une sorte de lien, de passerelle, de trait d’union entre des per-sonnages et des personnes, le public.
L’auteur de ce livre vient partager son expérience d’agitateur d’idées. En fait, les idées sont celles des autres : une telle qui soudain mordant à une situation insupportable jette son cri et son histoire, un tel ressassant sa colère devant ce personnage imaginaire, mais tellement réel. Les idées sont celles des autres, car vous ne trouverez ni manipulation ni volonté de séduire ou de convaincre. Pas de message norma-tif de prévention.
Le théâtre d’intervention sociale mis en œuvre par JB Jouteur est celui du brouhaha puis du silence puis de la violence de la prise de conscience. Une prise de conscience attendue, mais non provoquée par la force. Le théâtre vient par sa distance amener le public à prendre conscience qu’au-delà des faits et émotions personnelles, nous sommes dans une société de semblables. JB Jouteur s’adresse à ses semblables avec une infinie délicatesse, avec un infini res-pect.
L’intervenant en théâtre social est à l’opposé de la prévention officielle : chez lui pas de message sur les cinq fruits et légumes, chez lui pas de message sur les dégâts des verres d’alcool… Une autre prévention plus subtile qui fait du doute, de l’interrogatif les moteurs de la démarche. Pas de certitude comme d’ailleurs dans la vraie vie. La vraie vie n’est-elle pas là lorsque l’intervenant regarde ému se lever et s’approcher celle qui toute timide et craintive vient dire une opinion empreinte d’authenticité.
Authentique, maître mot, avec celui de bienveillance et de respect.
Mais, direz-vous, le théâtre agite-t-il celles et ceux qu’il réunit ? Il y a les réfractaires, mais cette séance ne va-t-elle pas les marquer ? Il y a ceux dont l’opinion est tranchée, qui apostrophent, qui affirment de façon péremptoire la vérité ? Le théâtre sera-t-il ce grain de sable, ce poil à grat-ter, ce défaut d’évidence. Rencontre avec la complexité. Si les enseignants savaient combien cette rencontre avec la complexité de la vie est essentielle…
N’ayant de message a priori, le théâtre d’intervention ne suscite ni culpabilité, ni défense. L’intervenant est d’une patience à toute épreuve, et des épreuves ce livre en expose. L’intervenant conduit, mais en toute disponibilité aux re-gards et aux remarques des uns et des autres. Ce qui compte n’est pas le succès d’un texte théâtral, souvent charpenté et ciselé, ce qui compte c’est une réflexion jaillissante, une colère retrouvant en chemin une autre colère, un affronte-ment avec un acteur. JB Jouteur est à la fois profondément engagé et complètement détaché de cet engagement. Il n’est pas militant d’idées, mais militant des personnes. Ces per-sonnes rencontrées au hasard des séances, qu’il va agiter, remuer, parfois bouleverser.
Se méfier à jamais des évidences.
Le théâtre n’est pas la vie, dit-on et pourtant, la vie n’est-elle pas une mise en scène au scénario incertain. Le théâtre d’intervention vient proposer de la vie, c’est une proposition dans laquelle chacun est libre d’entrer et de sortir, comme ce livre…

Jacques LAPORTE
Docteur en psychologie sociale
Vice-président de Loire-Prévention-Suicide